Les témoins

 

Dans L’identité nationale, Valérie Osouf a filmé cinq témoins, anciens détenus étrangers, tous suivis et accompagnés par La Cimade, association de défense des droits des personnes étrangères.

 

Kimintang

Kimintang est arrivé en France à l’âge de 17 ans suite à l’exaction de ses parents par le MFDC (mouvement séparatiste casamançais). Ce Sénégalais de 47 ans (fils d’un professeur de l’alliance française et petit-fils d’un ancien combattant de la seconde guerre mondiale) vit et travaille à Paris depuis 30 ans.

Il est tailleur, spécialisé en piquetage et montage de cuirs et peaux. Il est en situation administrative irrégulière. Il travaille donc clandestinement. Il a subi 3 incarcérations pour refus d’embarquer.

On a créé cette boîte, cette petite boîte. On avait cinq salariés. Moi j’étais déclaré. On a travaillé cinq ou six ans dans cette petite boîte. Et puis on a eu des contrôles et j’ai été arrêté. J’ai été reconduit dans le centre de rétention. Ils ont voulu m’expulser de France. J’ai refusé de prendre l’avion, et c’est de là que le tribunal de Bobigny m’a condamné : six mois de prison ferme et dix ans d’interdiction du territoire français. J’ai fait mes quatre mois de prison, je suis sorti de prison. J’ai été relâché à la porte. Et de nouveau j’ai essayé de régulariser ma situation. J’ai été arrêté de nouveau, une deuxième fois. Centre de rétention. Centre de rétention – avion. J’ai refusé…. et j’ai été massacré ce jour-là, je me rappelle, par les policiers. J’ai été frappé, j’ai eu une dent cassée, ils marchaient sur moi avec leurs chaussures, leurs grosses chaussures, sur la tête. Y’avait rien à faire. Ils m’ont ramené devant le tribunal. J’ai été condamné à nouveau : trois mois de prison, et cinq ans d’interdiction du territoire français. J’ai pris un avocat, on a fait les démarches, pour essayer d’enlever l’interdiction. Celle de dix ans a été enlevée, mais celle de cinq ans, elle est restée. Je me suis replongé dans la clandestinité et jusqu’à aujourd’hui, c’est le même problème.

Aujourd’hui relevé de ces condamnations par le Tribunal de Bobigny, il prépare son procès en contentieux au tribunal administratif, car la Préfecture a rejeté sa dernière demande en arguant qu’il ne prouvait pas la continuité de sa présence en France sur 10 ans, alors que ses six cartons de « paperasses » l’attestent sur 30 ans.

Avec lui, nous apprenons que les documents de présence en incarcération ne constituent pas une preuve de séjour sur le sol français, et que les greffes des établissements pénitentiaires ont depuis 2007 pour obligation de prévenir les préfectures de la date de sortie des détenus étrangers, laquelle sollicite la Police de l’air et des frontières pour les expulser. Nous explorons également les difficultés des travailleurs sans papiers qui cotisent aux caisses sociales, payent leurs impôts, et peuvent pourtant se retrouver dans un long va-et-vient entre le centre de rétention et la prison, parmi des délinquants ou des criminels loin de leur monde.

Hicham

Hicham est arrivé en Normandie par regroupement familial à l’âge de 4 ans. Ce Marocain de 38 ans est le fils d’un ancien combattant des guerres d’Indochine et d’Algérie. À 18 ans, âge auquel il aurait dû demander sa naturalisation à l’instar de tous les autres membres de sa famille qui sont tous Français, il est jugé pour trafic de stupéfiants et condamné à 4 ans de prison ferme par le tribunal de Caen, sans autre élément à charge que des dénonciations. On n’a en effet trouvé chez lui ni haschich, ni argent. La juge ne l’ayant pas placé sous mandat de dépôt, Hicham part en cavale dans le sud de la France pendant 4 ans. Lors d’un contrôle d’identité, il est appréhendé et incarcéré à la prison de Tarascon. Au bout d’un an d’emprisonnement, il reçoit un arrêté ministériel d’expulsion pour menace impérieuse à l’ordre public. Cet arrêté d’expulsion lui fait perdre son titre de séjour de 10 ans, encore valide à l’époque.

À partir du moment que j’ai pris l’expulsion définitive, j’ savais que ça allait être une galère. Parce que même si on suit vraiment la loi, c’est-à-dire, des recours ou des appels, et ben, vous êtes dans une spirale qui est vraiment un tunnel, vraiment noir. On m’a assuré, vu que j’ai grandi ici, que j’y ai passé mon enfance… que je suis arrivé à 4 ans en France, ils m’ont assuré que j’étais inexpulsable. Donc, moi j’ai rassemblé mes papiers, mes certificats de scolarité, de la maternelle jusqu’à mon adolescence, les pièces d’identité de mes frères, les justificatifs militaires de mon père… mais ça ne change rien… Je connaissais le racisme sur certains trucs, dans la vie de tous les jours en province. Mais dans une loi, jamais j’aurais pensé que dans une loi, il y a aussi une discrimination.

À l’issue de sa peine, il refuse d’embarquer et est condamné à 8 mois de prison ferme aux Baumettes, à Marseille. Après un passage au centre de rétention administratif d’Arenc, il est expulsé vers le Maroc. Au bout de 8 mois, il revient clandestinement en France et est arrêté à nouveau un an plus tard, refuse à nouveau d’embarquer et passe 7 mois à la Santé, avant d’être réexpulsé vers le Maroc. 2 ans après, il revient en France par une autre filière clandestine. Il passe ensuite quelques années dans la clandestinité avant d’obtenir, après de longues démarches, un récépissé de titre de séjour en 2008. Hicham a donc passé 20 ans sans papiers suite à un délit commis en 1988, à l’âge de 18 ans. Il est le père d’une adolescente de 15 ans, née pendant sa cavale.

Hicham nous parle de son vécu de la prison et des nombreux Marocains qui ont grandi en France (parfois non arabophones) et qui, expulsés, dépérissent dans un pays d’origine dans lequel ils n’ont plus aucune attache. Hicham témoigne à titre anonyme car il travaille dans l’Éducation nationale.

Avec lui, nous explorerons la différence entre les condamnations prononcées à l’encontre des prévenus étrangers en province et en région parisienne – où la forte proportion d’étrangers relativise les sentences – et la notion de menace à l’ordre public qui fait sauter les verrous des catégories protégées.

zico

Zico est un jeune homme de 26 ans, originaire de la République Démocratique du Congo, précisément du Kivu, qu’il a quitté pour la France à l’âge de 9 ans pour fuir la guerre qui a coûté la vie à son père.

C’est un archétype du jeune « des quartiers » : enfance difficile à 10 dans un F3, scolarité interrompue en classe de 3ème, fugues dès l’âge de 12 ans… Placé en foyer à 13 ans, il dérive et est incarcéré pour bagarres à 16 ans, puis à 18 ans pour non assistance à personne en danger lors d’une rixe.

Ma mère elle travaillait pas. Elle avait pas encore ses papiers et tout. Après elle a dû bosser au noir tout ça pour subvenir à nos besoins. C’était difficile. Mais moi-même après avec le recul et tout ça je me suis dit, là j’ai douze ans, faut que je commence à me démerder tout seul. Je faisais des petits trucs de gauche à droite. Je venais à la maison et je ramenais des courses. Je donnais un peu de thune à ma mère. Et elle me demandait ça venait d’où. Et après je devais lui expliquer. Puis voilà. Jusqu’à ce que j’ai connu la rue après, à treize ans. Et là…C’est de là que tout part en fait. Dès que j’ai connu la rue, bah après… après la rue y’a les garde-à-vue, les bagarres, des choses comme ça.

À l’âge de 18 ans, révolté et en crise identitaire, Zico ne fait pas sa demande de naturalisation. Depuis, son casier judiciaire chargé (6 peines de prison) ne lui permet plus d’accéder à la nationalité française. Zico s’apprête à sortir son deuxième album de rap sous le nom de Kozi Authentique et semble avoir enfin trouvé sa voie.

Avec lui, nous aborderons les thématiques du sentiment d’appartenance, de la naturalisation des jeunes issus de l’immigration et de la récidive à travers la loi Dati du 10 août 2007 dite des peines planchers.

Mehdi

Mehdi est un Algérien venu en France à l’âge de 19 ans pour fuir le service militaire et la guerre civile. Il travaille, n’a connu ni la rue, ni les foyers, ni la drogue.

En 1997, Mehdi commet ce qu’on appelle communément un crime passionnel : il taillade à l’arme blanche l’amant de sa femme surpris dans le lit conjugal. Il est condamné par le jury populaire des assises d’Angers à 13 ans de prison ferme.

J’ai frappé quelqu’un en utilisant une arme blanche, un couteau. Chose qui est terrible quand même, c’est pas quelque chose d’anodin. Dans le cadre d’un crime passionnel, impulsif, exactement, oui. Donc, le fait d’être Algérien m’a coûté un peu cher par rapport à un citoyen français. Parce que justement le fait d’être Algérien, ça a construit – ou musulman entre guillemets – ça a construit une image de l’arme que j’ai utilisé.. Et ce qui se passait à l’époque en Algérie ne m’a pas aidé puisque les gens qui massacraient en Algérie utilisaient quasiment le même procédé : je veux dire une arme blanche, un couteau. Et donc ça a joué un rôle important dans ma condamnation. Le fait que le procureur pendant le procès me dit que c’était un acte de tradition d’utiliser un couteau pour un oui ou pour un non et pour sacrifier des bêtes ou des choses comme ça, que c’était assez… traditionnel « chez nous », en Algérie. J’ai du mal à me souvenir de tous les mots qu’il a sorti parce que j’étais en dehors du procès moi pendant le procès. J’étais pas, j’étais pas. Mentalement, j’étais pas présent. Mais j’étais là. Quand on nous reproche des choses, qui font pas partie du procès mais pour décrire le personnage et de quoi on est capable. De dire une anecdote, en Algérie, d’un massacre de femmes enceintes et de pouvoir ouvrir son ventre, de décrire ce genre de, de, de choses au tribunal parce qu’on est en face d’un Algérien qui a commis un acte… ça a joué, certainement, aux yeux des jurés pour démontrer le personnage. On a essayé aussi de décrire le musulman, l’Algérien, entre guillemets, dans une société algérienne où la femme n’a pas de rôle. Donc au tribunal, c’était quelque chose de, comme quoi j’étais quelqu’un. Que la femme était ma chose, m’appartenait. Que la femme restait à la maison et que c’est l’homme qui décidait de tout et qui faisait tout. Alors que ça été démontré que c’était pas exactement ça puisque mon ex-épouse avait démontré qu’elle avait son travail, qu’elle avait son véhicule et que ça n’avait strictement rien à voir avec le fait que je sois Algérien. Rien ne décrivait, entre guillemets, mon appartenance à une culture, ou à qui était dans ce genre de chose, que la femme restait à la maison et que l’homme décidait tout, puisque mes sœurs et ma mère travaillent…

Avec Mehdi, nous explorerons les problèmes spécifiques rencontrés par les prisonniers étrangers dans l’accès aux aménagements de peine, aux placements extérieurs, à la réinsertion et à la libération conditionnelle. Il nous racontera également son parcours juridique exceptionnel pour être relevé de l’Interdiction du territoire et son combat psychologique pour résister aux séquelles de sa longue peine et se réhabiliter. En raison de la gravité du crime commis, Mehdi nous poussera dans nos retranchements en éprouvant la solidité de notre ouverture d’esprit.

Erico anonyme

Rico a 43 ans. Avec 15 condamnations, il a passé la moitié de sa vie en prison. Rico est arrivé en France en 1979, 4 ans après l’indépendance du Cap vert. C’est un enfant du quartier de Belleville, au phrasé très Titi parisien.

À 17 ans, je me suis retrouvé dehors. La première fois que j’ai été incarcéré j’avais 19 ans. Entre temps, j’ai passé deux ans comme j’ai pu, étant donné que je pouvais plus retourner chez ma mère, puisqu’elle m’a dit de prendre la porte. J’ai vécu à droite à gauche. Des fois je dormais chez un copain qui s’appelait Bruno. Des fois je dormais chez un copain qui s’appelait Patrick, un qui s’appelait Olivier. Quand c’était pas possible, il m’est arrivé de dormir dans un local à vélo, il m’est arrivé de dormir dans des marches d’escaliers, parce que je savais pas faire autrement.

Ben de fil en aiguille, un jour j’ai un copain qui s’appelle Franck qui est venu me voir, il m’a dit « Écoute Rico, il faut que je te parle » et puis il m’a expliqué, il m’a dit « Écoute ça fait x temps, avec Xavier et Bruno, on braque, voilà ». Il me dit « on braque, ça marche, comme je sais que tu es en galère que t’as pas de thunes. Si tu veux, justement il en manque un. Tel jour on va faire quelque chose et ben, t’as qu’à venir on a tout ce qui faut. T’as qu’à juste venir et y participer.

Comme j’étais dérouté, ben, je les ai suivi, j’ les ai suivi, on a braqué un grossiste en Hifi vidéo, rue de Charonne exactement. Et ça c’est très mal passé. Xavier il avait 17 ans au moment des faits. Il tenait déjà un type en respect dans une pièce et il y a un autre type qui a voulu lui enlever le 38 des mains. Y a une balle qui est partie. Y a une balle qui a ricoché sur une table et qui a été se loger en dessous des aisselles. Et donc, il faut savoir que la police les cherchait déjà. Donc deux jours après que l’on ait commis le coup ensemble, que j’ai commis le coup avec eux, et ben, la police nous a tous attrapé. Ils ont trouvé où on a caché notre matériel. Ils nous ont embarqués et puis tout a été exposé. Chacun a pris sa part de responsabilité. On s’est tous retrouvés en prison, excepté un qui était en fuite, qui s’est fait attraper deux ans plus tard. Mais on a tous été pris, on a tous été jugés, condamnés. En ce qui me concerne moi, j’ai pris 4 ans dont deux ans avec sursis.

De ce fait, on m’a retiré mes papiers, à l’époque je savais pas que ça s’appelait la double peine. Mais je pense que ça existait déjà puisque depuis lors on m’a retiré mes papiers. À ce moment là, j’avais une carte de séjour qui était valable 10 ans. Et j’avais une carte de travail qui était valable de 12 ans. C’est comme ça qu’on donnait à l’époque. C’était le 18 mars 88. Et depuis ça, j’ai plus de papiers…

Rico est le témoin qui partage avec nous son expérience des conditions de détention, de la prison comme école du vice, du travail en atelier, des bâtiments réservés aux étrangers en détention. De plus, il questionne en profondeur les notions de réhabilitation et de réinsertion, ainsi que celle de la dette envers la société, du sens de la peine et de la fonction sociale, politique et philosophique de la prison.

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